Carte du parcours

jeudi 23 juillet 2015

Chine partie 5 : Kashgar, au pays des Ouïgours

Du 29 mai au 10 juin 2015

De la buée se forme sur la vitre, et cache peu à peu la vue des montagnes. On se blottit dans les couvertures.  Il fait froid, dans ce bus de nuit qui nous emmène encore un peu plus au nord, et redescend du plateau tibétain pour s'arrêter, après 10h de route, dans la ville de Xining.

Petit aperçu d'un bus-couchettes: 3 rangées, deux niveaux et deux couloirs

Xining est une ville de taille moyenne à l'échelle de la Chine, mais pour nous mettons un temps fou à rouler au milieu de tours immenses et toutes plus laides les unes que les autres, avant d'atteindre le centre. Ce que nous avons appris plus tard, c'est que Xining est interdite aux étrangers... Mais  nous n'avons eu aucune difficulté à acheter nos billets ni eu aucun contrôle de passeports, donc on ne s'est douté de rien! Après quelques heures on remarque quand même qu'ici, on ne passe pas inaperçus : TOUT le monde nous fixe des yeux dans la rue, et on nous prend en photo en permanence. Mais on n'y prête pas attention, car on cherche un hôtel à prix correct. Après une bonne heure de recherche infructueuse, nous sommes assis sur un muret, découragés et fatigués. Une jeune fille nous prend en photo, s'approche de nous et nous invite à manger avec elle et sa famille (son père tient un restaurant musulman). Trop cool. On se régale d'un bon plat de mouton. Puis cette jeune Chinoise se fait un devoir de nous aider à trouver un hôtel. Comme quoi, à chaque galère, on remarque qu'il nous arrive ensuite quelque chose de super!

On passe le reste de la journée à réfléchir à notre programme pour la suite. Nous espérions obtenir un 3e mois en Chine, mais nous sommes le week-end, et nous n'avons de toute façon que très peu de chance d'obtenir cette extension officiellement interdite. On décide de profiter à fond du peu de jours qu'il nous reste en Chine. Après avoir envisagé mille possibilités d'itinéraires, nous prenons la décision de partir le lendemain soir pour Kashgar. Une ville située à l'extrême ouest du pays, près du Kirghizstan, dans la région ouïghoure.

Le parvis de la gare, vue sur la ville.
Spécialités du coin dans un restau musulman
Avez-vous déjà fait la file dans une gare chinoise? C'est une expérience! Ici, pas de scrupules : chacun se glisse dès qu'un petit espace se libère dans la file de 40 personnes. De préférence devant le guichet. Et comme les Chinois n'osent jamais se faire de reproches entre eux, personne ne râle jamais. Pour nous Européens, ça demande un gros effort d'adaptation!!!
Nous avons finalement nos billets. Nos vélos et nos sacoches doivent être enregistrés, scannés, et ils doivent aussi prendre un train différent : on leur souhaite bonne chance, et on les quitte avec une petite pointe d'inquiétude.

La gare de Xining

Notre nuit en couchette se déroule très bien, le train est plutôt silencieux. Mis à part nos voisins de compartiment qui se raclent la gorge toute la soirée... mais bon, on commence à avoir l'habitude des manières chinoises!
Après 15h de trajet et 1450 km plus loin, nous effectuons une correspondance à Urumqi (prononcez "Ouroumchi"). C'est la capitale de la région ouïghoure du Xinjiang.
Comme la Mongolie-Intérieure ou le Tibet, le Xinjiang est une des cinq régions autonomes de la Chine. Elle est majoritairement peuplée de musulmans turcophones, les Ouïghours, ce qui, culturellement, la rattache plutôt à l'Asie centrale. Mais depuis 2001, Pékin pratique une politique d'intégration particulièrement répressive... ce qui crée des tensions parfois violentes entre Han et Ouïghours. Et nous nous en rendons compte dès notre arrivée à la gare d'Urumqi.

Si vous voulez en savoir plus sur le Xinjiang et les Ouïghours, vous pouvez regarder "Le Dessous des Cartes" d'ARTE : http://ddc.arte.tv/nos-cartes/xinjiang-le-grand-ouest-chinois, et écouter l'émission "Rendez-vous avec X" de France Inter : http://www.franceinter.fr/emission-rendez-vous-avec-x-la-persecution-des-ouigours-en-chine-1.

Dans la gare d'Urumqi, c'est pas vraiment relax : les gueulophones hurlent, les policiers et militaires chinois sont partout, il y a des barrières, des postes de contrôle et des interdictions dans tous les sens. On n'a même pas le droit de poser ses sacs par terre, le temps de faire une pause. Il faut avancer, dégager. Scanner les bagages. Se faire fouiller de très près (et les policières chinoises ne mettent pas de gants, si on peut dire!!!). C'est la paranoïa sécuritaire du gouvernement chinois, après les attentats de 2014 qui visaient les Hans d'Urumqi, et qui ont fait une quarantaine de morts.

Nous quittons cette ville sans regret, en embarquant  dans le train pour Kashgar. C'est parti pour 1500km et 20h de train, sur des sièges tout durs. La nuit est longue... Mais il y a plein de choses à observer, car il y a du monde dans le wagon! Nous aussi, nous sommes des objets de curiosité pour les gens qui nous entourent. Au milieu de la nuit, une jeune fille qui parle anglais vient nous questionner. Nos voisins de wagon s'approchent, grimpent sur les sièges, pour pouvoir entendre la traduction qu'elle leur fait de notre conversation. C'est un beau moment. La jeune fille nous explique qu'elle aimerait bien voyager et aller en Europe. Mais ici, au Xinjiang, obtenir un passeport relève de l'impossible. En plus, depuis quelques années, les autorités chinoises commencent à confisquer les passeports des Ouïgours. Plus aucune chance pour eux d'espérer se rendre un jour à la Mecque...

Après 18h de train, on est plus très frais et nos voisins non plus...!
Au travers de la fenêtre le paysage défile, sans variation particulière. À droite du train ce sont les montagnes du Tianshan, qui s'élèvent brusquement à quelques kilomètres de la voie ferrée. À gauche, c'est le désert du Taklamakan, surnommé la "mer de la mort". Un grand désert qu'on aurait bien aimé pouvoir traverser à vélo, si notre visa avait été plus long. Mais depuis le train, c'est pas très passionnant. Dans le sable gris sont plantés des champs d'éoliennes, des centaines de derricks, des usines de charbon, des centrales électriques. En voyant ça, on comprend pourquoi la Chine tient à garder cette région sous contrôle!


Nous arrivons enfin à Kashgar. Dernier bastion ouïgour, en quelque sorte. Ici les Ouïghours sont encore majoritaires (90% en 2000).
C'est un énorme choc pour nous. On est comme parachutés dans un autre continent! Tout est différent ici. La lumière, les couleurs, les maisons, les sons, les visages, la nourriture... En sortant de la gare, Akkiz nous aide à trouver le bus. À bord nous faisons la connaissance d'un monsieur qui nous accompagne ensuite dans le centre de la ville. Il nous explique que tout est neuf ici : le gouvernement a entrepris, il y a quelques années, un programme de "rénovation" du centre-ville : comprenez une destruction/reconstruction totale. Nous suivons ce vieux monsieur dans les toutes nouvelles rues, proprettes, conformes aux normes en vigueur, dont le style imite l'architecture vernaculaire. Il nous montre parfois un bout de chaussée en nous expliquant que celui-là est d'origine.

Malgré ce côté artificiel de l'architecture, on tombe vite amoureux de cet endroit. Parce qu'il y a une vie incroyable. Les rues sont remplies de gens, d'échoppes, de charrettes tirées par des ânes et remplies de fruits magnifiques. Sur les conseils de notre gentil monsieur, nous goûtons le pain de Kashgar : une galette toute plate, couverte d'épices, et cuite sur les parois de fours construits dans la rue. On en trouve partout, les boulangers en font des pyramides et les vendent à la pelle!

Babaï! babaï!
Les ruines d'un vieux quartier en cours de destruction


Portes traditionnelles ouïghoures
Nous plantons la tente sur la terrasse d'une auberge de jeunesse, avec vue sur la mosquée Ad-Kah, en plein centre. Nous sommes bien ici, le jeune couple chinois qui tient l'auberge est sympa, et il y a deux chats, deux labradors et leurs cinq petits chiots pour nous tenir compagnie! Nous restons une semaine. On fait des balades dans la ville, on va au marché de nuit, on mange des fruits, on fait la sieste pendant les heures chaudes.

La mosquée Ad-Kah
Nous jouons avec ce petit garçon, qui court autour de nous 
en imitant le bruit de l'appareil photo


Le jus glacé au safran, un délice!
Les stars de la guesthouse
Dans le parc, un vieux monsieur s'exerce à la calligraphie à l'eau
Danse entre chinois et ouïghours... un rare moment de partage entre eux
Le plus jeune danseur sur la piste...
Mao, c'est le chef d'orchestre!
L'enseigne très attrayante d'un dentiste
La place du peuple, transformée en parking pour combis de police!
Un autre visage de Kashgar... hors du centre-ville
Piscine municipale
Les horaires de l'administration adaptés 
au fuseau horaire de Pékin
Les pastèques et les mangues sont particulièrement délicieuses. Le soir, quand l'air se rafraîchit un peu, les habitants de Kashgar viennent manger au marché. On y trouve des brochettes de viande, du poisson frit, et du plov (un plat de riz avec des raisins, des carottes jaunes, du mouton et des oeufs). Après, pour le dessert, les jeunes, et les moins jeunes aussi, se retrouvent chez le vendeur de yaourt glacé. Oui, le yaourt glacé, c'est la boisson cool. Tout le monde adore, et nous aussi. On demande deux bols, et on s'assoit sur un banc avec tout le monde. Le vendeur de yaourt commence par gratter un bloc de glace avec son couteau. Ensuite il ajoute de la crème, une cuillerée de miel, un peu d'eau. Pour mélanger, il balance tout en l'air et récupère le mélange avec un autre bol, comme un jongleur! Nous, on prend notre bol des deux mains, et on boit religieusement ce lait au miel comme des enfants au spectacle.

Le marché de nuit
Le vieux bazar
Le "PLOF". Son nom n'est pas très engageant, mais c'est bon!

Le dimanche à Kashgar, c'est le jour du marché aux bestiaux.
L'occasion de voir de belles paires de fesses de moutons!

Chez les bovins
Chez les montons
On ne s'en lasse pas!

Chez les chevaux
Et chez les chameaux
Située à la frontière entre Chine en Asie Centrale, Kashgar est une ville stratégiquement placée pour favoriser les rencontres entre voyageurs! Nous passons de très chouettes moments avec Mag et Flo (un couple de voyageurs français), avec Niko (un cyclo suisse, dont on vous reparlera plus tard), et avec une ribambelle d'autres cyclovoyageurs de passage. Mais le temps passe vite, notre visa touche à sa fin, et nos vélos sont enfin arrivés (avec 4 jours de retard). Deux jours avant l'expiration du visa, il faut bien qu'on se décide à remonter en selle. Direction le Kirghizstan.

Maguelone, Florian...
...et Niko
Nous revoilà sur la route, les sacoches remplies de fruits, et les mollets paresseux. Nous roulons au milieu de paysages totalement inconnus. Des oasis et des déserts. Des champs de blé et des montagnes rouges. Des alignements de peupliers et des maisons en terre.

Le pneu n'a pas résisté... il commence à être bien usé

Après une demi-journée, nous montons sur l'autoroute... qui est, elle aussi, totalement déserte. Le vent de face ne nous lâche pas, il faut lutter. Ici rien ne l'arrête, pas moyen de s'abriter nulle part. Sur le bord de la route, on croise des buissons qui roulent à toute vitesse en sens inverse, comme dans les westerns! Mais à Kashgar la viande nous avait rendus malades, et Étienne ne s'en est pas encore bien remis... pour lui c'est pas le fun!

Saloperie de vent, je pédale comme un malade alors que ça descend...
...heureusement les paysages sont sympas.
Depuis le désastre du Cambodge, 
Marion n'a plus peur de tester de nouvelles coupes!

Une toute petite vidéo sur nos derniers instants chinois :

On arrive dans la petite ville d'Ullugqat. On nous a prévenus qu'il faut prendre un taxi à partir d'ici, car la route est fermée jusqu'à la frontière (à 160km de là). Mais on roule, on roule, on roule... et personne ne nous arrête. Pas de poste de contrôle. Pas de barrière. Bon. Il va quand même falloir aller plus vite si on veut arriver à temps à la frontière, c'est à dire avant ce soir... On fait du stop et un pick-up nous embarque, nous et nos vélos. Sur la route, nous montrons nos passeports à des postes de contrôle intermédiaires... qui ne nous font aucune remarque particulière. Mais une fois arrivés au poste-frontière, le militaire chinois qui contrôle nos passeports tombe des nues : "STAMP!!!" s'exclame-t-il en gestes expressifs. QUOI? Un poste de contrôle à 160km d'ici? Mais nous n'avons rien vu, on ne nous a rien dit!!! Les deux Chinois qui nous ont pris en auto-stop se font copieusement engueuler par les militaires : ils ont commis un "crime" et ils ont l'interdiction de nous faire faire l'aller-retour pour aller tamponner nos passeports. Il faut que nous prenions un taxi habilité par le gouvernement. Bam, 100$ l'aller-retour. Nous sommes furieux.
R-E-L-A-T-I-V-I-S-E Etienne ...
Mais il faut se dépêcher de partir tant qu'il est encore possible de faire l'aller-retour avant la fermeture du poste, à 19h. Le militaire confie nos passeports au chauffeur du taxi, nous n'avons pas le droit de les récupérer. À Ulluggqat le taxi nous amène devant le poste de contrôle, qui est en fait situé à 1km d'écart par rapport à la route (tellement absurde). Le chauffeur nous explique qu'il nous laisse ici, qu'on se retrouve dans 1h. On trouve ça bizarre mais on obéit... avant de le regretter, 1h30 plus tard, quand le taxi n'est toujours pas revenu! On réalise peu à peu que nos vélos sont restés à la frontière, nos sacs sont à l'arrière du pick-up, nos passeports dans la poche du taximan, et il ne nous reste plus que 3h pour passer la frontière à temps, à 160km d'ici. En gros, on est mal!

Marion est déjà en larmes quand le taxi apparaît enfin. À bord le chauffeur est tout souriant et Marion pourrait le frapper, mais on a encore besoin de lui. On rejoint la frontière en roulant comme des fous. Les gardes-frontières ont déjà fermé les barrières, mais ils les rouvrent pour nous. Ouf! Il ne reste plus qu'à traverser ces deux kilomètres de "no mans land" entre les deux pays. De l'autre côté, nous sommes accueillis à bras ouverts par un type vêtu d'une casquette et d'un gros manteau kaki, le col couvert de fourrure, avec des badges partout : LE militaire russe tel qu'on se l'imagine. Il nous offre de l'eau potable, et crie d'une voix forte : "BYE BYE CHINA, WELCOME IN KYRGYZSTAN!"

3 commentaires:

Caroline Wautier a dit…

Génial !!! Merci de nous faire partager tout ça, c'est TOP!
Bonne continuation
P.s: Super les vidéos ;-)

Nicole Marlière a dit…

Chers grands voyageurs, j'adore votre compte-rendu si vivant et rempli de surprises, c'est un bonheur de vous lire...
Continuez à nous entrainer sur les routes.
Je vous embrasse, Nicole

rondou viviane a dit…


magnifique voyage que vous faites, je me remémore mes voyages en Chine et en Ouzbekistan.tout cela est comme dans mes souvenirs merci encore
pour ce magnifique reportage. Je suis la tante de nicole Marlière et je vous suis depuis le début de votre périple, courage et a
bientôt sur les chemins