De la buée se forme sur la vitre, et cache
peu à peu la vue des montagnes. On se blottit dans les couvertures. Il fait froid, dans ce bus de nuit qui nous
emmène encore un peu plus au nord, et redescend du plateau tibétain pour
s'arrêter, après 10h de route, dans la ville de Xining.
Xining est une ville de taille moyenne à
l'échelle de la Chine, mais pour nous mettons un temps fou à rouler au milieu
de tours immenses et toutes plus laides les unes que les autres, avant
d'atteindre le centre. Ce que nous avons appris plus tard, c'est que Xining est
interdite aux étrangers... Mais nous
n'avons eu aucune difficulté à acheter nos billets ni eu aucun contrôle de passeports,
donc on ne s'est douté de rien! Après quelques heures on remarque quand même
qu'ici, on ne passe pas inaperçus : TOUT le monde nous fixe des yeux dans la
rue, et on nous prend en photo en permanence. Mais on n'y prête pas attention,
car on cherche un hôtel à prix correct. Après une bonne heure de recherche
infructueuse, nous sommes assis sur un muret, découragés et fatigués. Une jeune
fille nous prend en photo, s'approche de nous et nous invite à manger avec elle
et sa famille (son père tient un restaurant musulman). Trop cool. On se régale
d'un bon plat de mouton. Puis cette jeune Chinoise se fait un devoir de nous
aider à trouver un hôtel. Comme quoi, à chaque galère, on remarque qu'il nous
arrive ensuite quelque chose de super!
On passe le reste de la journée à réfléchir
à notre programme pour la suite. Nous espérions obtenir un 3e mois en Chine,
mais nous sommes le week-end, et nous n'avons de toute façon que très peu de
chance d'obtenir cette extension officiellement interdite. On décide
de profiter à fond du peu de jours qu'il nous reste en Chine. Après avoir
envisagé mille possibilités d'itinéraires, nous prenons la décision de partir le
lendemain soir pour Kashgar. Une ville située à l'extrême ouest du pays, près
du Kirghizstan, dans la région ouïghoure.
Avez-vous déjà fait la file dans une gare
chinoise? C'est une expérience! Ici, pas de scrupules : chacun se glisse dès
qu'un petit espace se libère dans la file de 40 personnes. De préférence devant le guichet. Et
comme les Chinois n'osent jamais se faire de reproches entre eux, personne ne
râle jamais. Pour nous Européens, ça demande un gros effort d'adaptation!!!
Nous avons finalement nos billets. Nos
vélos et nos sacoches doivent être enregistrés, scannés, et ils doivent aussi
prendre un train différent : on leur souhaite bonne chance, et on les quitte
avec une petite pointe d'inquiétude.
Notre nuit en couchette se déroule très
bien, le train est plutôt silencieux. Mis à part nos voisins de compartiment
qui se raclent la gorge toute la soirée... mais bon, on commence à avoir l'habitude
des manières chinoises!
Après 15h de trajet et 1450 km plus loin,
nous effectuons une correspondance à Urumqi (prononcez "Ouroumchi").
C'est la capitale de la région ouïghoure du Xinjiang.
Comme la Mongolie-Intérieure ou le Tibet,
le Xinjiang est une des cinq régions autonomes de la Chine. Elle est
majoritairement peuplée de musulmans turcophones, les Ouïghours, ce qui, culturellement,
la rattache plutôt à l'Asie centrale. Mais depuis 2001, Pékin pratique une
politique d'intégration particulièrement répressive... ce qui crée des tensions
parfois violentes entre Han et Ouïghours. Et nous nous en rendons compte dès
notre arrivée à la gare d'Urumqi.
Si vous voulez en savoir plus sur le Xinjiang
et les Ouïghours, vous pouvez regarder "Le Dessous des Cartes" d'ARTE
: http://ddc.arte.tv/nos-cartes/xinjiang-le-grand-ouest-chinois,
et écouter l'émission "Rendez-vous avec X" de France Inter : http://www.franceinter.fr/emission-rendez-vous-avec-x-la-persecution-des-ouigours-en-chine-1.
Dans la gare d'Urumqi, c'est pas vraiment
relax : les gueulophones hurlent, les policiers et militaires chinois sont
partout, il y a des barrières, des postes de contrôle et des interdictions dans
tous les sens. On n'a même pas le droit de poser ses sacs par terre, le temps
de faire une pause. Il faut avancer, dégager. Scanner les bagages. Se faire fouiller
de très près (et les policières chinoises ne mettent pas de gants, si on peut
dire!!!). C'est la paranoïa sécuritaire du gouvernement chinois, après les
attentats de 2014 qui visaient les Hans d'Urumqi, et qui ont fait une
quarantaine de morts.
Nous quittons cette ville sans regret, en
embarquant dans le train pour Kashgar.
C'est parti pour 1500km et 20h de train, sur des sièges tout durs. La nuit est
longue... Mais il y a plein de choses à observer, car il y a du monde dans le
wagon! Nous aussi, nous sommes des objets de curiosité pour les gens qui nous
entourent. Au milieu de la nuit, une jeune fille qui parle anglais vient nous
questionner. Nos voisins de wagon s'approchent, grimpent sur les sièges, pour
pouvoir entendre la traduction qu'elle leur fait de notre conversation. C'est
un beau moment. La jeune fille nous explique qu'elle aimerait bien voyager et
aller en Europe. Mais ici, au Xinjiang, obtenir un passeport relève de
l'impossible. En plus, depuis quelques années, les autorités chinoises commencent
à confisquer les passeports des Ouïgours. Plus aucune chance pour eux d'espérer
se rendre un jour à la Mecque...
Au travers de la fenêtre le paysage défile,
sans variation particulière. À droite du train ce sont les montagnes du Tianshan, qui s'élèvent brusquement à quelques kilomètres
de la voie ferrée. À gauche, c'est le désert du Taklamakan, surnommé la
"mer de la mort". Un grand désert qu'on aurait bien aimé pouvoir
traverser à vélo, si notre visa avait été plus long. Mais depuis le train, c'est
pas très passionnant. Dans le sable gris sont plantés des champs d'éoliennes,
des centaines de derricks, des usines de charbon, des centrales électriques. En
voyant ça, on comprend pourquoi la Chine tient à garder cette région sous
contrôle!
Nous arrivons enfin à Kashgar. Dernier
bastion ouïgour, en quelque sorte. Ici les Ouïghours sont encore majoritaires (90% en 2000).
C'est un énorme choc pour nous. On est
comme parachutés dans un autre continent! Tout est différent ici. La lumière,
les couleurs, les maisons, les sons, les visages, la nourriture... En sortant
de la gare, Akkiz nous aide à trouver le bus. À bord nous faisons la
connaissance d'un monsieur qui nous accompagne ensuite dans le centre de la
ville. Il nous explique que tout est neuf ici : le gouvernement a entrepris, il
y a quelques années, un programme de "rénovation" du centre-ville :
comprenez une destruction/reconstruction totale. Nous suivons ce vieux monsieur
dans les toutes nouvelles rues, proprettes, conformes aux normes en vigueur,
dont le style imite l'architecture vernaculaire. Il nous montre parfois un bout
de chaussée en nous expliquant que celui-là est d'origine.
Malgré ce côté artificiel de
l'architecture, on tombe vite amoureux de cet endroit. Parce qu'il y a une vie
incroyable. Les rues sont remplies de gens, d'échoppes, de charrettes tirées par
des ânes et remplies de fruits magnifiques. Sur les conseils de notre gentil
monsieur, nous goûtons le pain de Kashgar : une galette toute plate, couverte
d'épices, et cuite sur les parois de fours construits dans la rue. On en trouve
partout, les boulangers en font des pyramides et les vendent à la pelle!
Babaï! babaï! |
Les ruines d'un vieux quartier en cours de destruction |
![]() |
Portes traditionnelles ouïghoures |
Nous plantons la tente sur la terrasse
d'une auberge de jeunesse, avec vue sur la mosquée Ad-Kah, en plein centre.
Nous sommes bien ici, le jeune couple chinois qui tient l'auberge est sympa, et
il y a deux chats, deux labradors et leurs cinq petits chiots pour nous tenir
compagnie! Nous restons une semaine. On fait des balades dans la ville, on va
au marché de nuit, on mange des fruits, on fait la sieste pendant les heures
chaudes.
La mosquée Ad-Kah |
Nous jouons avec ce petit garçon, qui court autour de nous en imitant le bruit de l'appareil photo |
Le jus glacé au safran, un délice! |
Les stars de la guesthouse |
Dans le parc, un vieux monsieur s'exerce à la calligraphie à l'eau |
Danse entre chinois et ouïghours... un rare moment de partage entre eux |
Le plus jeune danseur sur la piste... |
Mao, c'est le chef d'orchestre! |
L'enseigne très attrayante d'un dentiste |
La place du peuple, transformée en parking pour combis de police! |
Un autre visage de Kashgar... hors du centre-ville |
Piscine municipale |
Les horaires de l'administration adaptés au fuseau horaire de Pékin |
Les pastèques et les mangues sont
particulièrement délicieuses. Le soir, quand l'air se rafraîchit un peu, les
habitants de Kashgar viennent manger au marché. On y trouve des brochettes de
viande, du poisson frit, et du plov (un plat de riz avec des raisins, des
carottes jaunes, du mouton et des oeufs). Après, pour le dessert, les jeunes, et
les moins jeunes aussi, se retrouvent chez le vendeur de yaourt glacé. Oui, le
yaourt glacé, c'est la boisson cool. Tout le monde adore, et nous aussi. On
demande deux bols, et on s'assoit sur un banc avec tout le monde. Le vendeur de
yaourt commence par gratter un bloc de glace avec son couteau. Ensuite il
ajoute de la crème, une cuillerée de miel, un peu d'eau. Pour mélanger, il
balance tout en l'air et récupère le mélange avec un autre bol, comme un
jongleur! Nous, on prend notre bol des deux mains, et on boit religieusement ce
lait au miel comme des enfants au spectacle.
Le marché de nuit |
Le vieux bazar |
Le "PLOF". Son nom n'est pas très engageant, mais c'est bon! |
Le dimanche à Kashgar, c'est le jour du marché aux bestiaux.
L'occasion de voir de belles paires de
fesses de moutons!
Située à la frontière entre Chine en Asie
Centrale, Kashgar est une ville stratégiquement placée pour favoriser les
rencontres entre voyageurs! Nous passons de très chouettes moments avec Mag et
Flo (un couple de voyageurs français), avec Niko (un cyclo suisse, dont on vous
reparlera plus tard), et avec une ribambelle d'autres cyclovoyageurs de passage.
Mais le temps passe vite, notre visa touche à sa fin, et nos vélos sont enfin
arrivés (avec 4 jours de retard). Deux jours avant l'expiration du visa, il
faut bien qu'on se décide à remonter en selle. Direction le Kirghizstan.
Nous revoilà sur la route, les sacoches
remplies de fruits, et les mollets paresseux. Nous roulons au milieu de
paysages totalement inconnus. Des oasis et des déserts. Des champs de blé et
des montagnes rouges. Des alignements de peupliers et des maisons en terre.
Après une demi-journée, nous montons sur
l'autoroute... qui est, elle aussi, totalement déserte. Le vent de face ne nous
lâche pas, il faut lutter. Ici rien ne l'arrête, pas moyen de s'abriter nulle part.
Sur le bord de la route, on croise des buissons qui roulent à toute vitesse en
sens inverse, comme dans les westerns! Mais à Kashgar la viande nous avait
rendus malades, et Étienne ne s'en est pas encore bien remis... pour lui c'est
pas le fun!
Saloperie de vent, je pédale comme un malade alors que ça descend... |
...heureusement les paysages sont sympas. |
Depuis le désastre du Cambodge, Marion n'a plus peur de tester de nouvelles coupes! |
Une toute petite vidéo sur nos derniers instants chinois :
On arrive dans la petite ville d'Ullugqat. On nous a prévenus qu'il faut prendre un taxi à partir d'ici, car la route est fermée jusqu'à la frontière (à 160km de là). Mais on roule, on roule, on roule... et personne ne nous arrête. Pas de poste de contrôle. Pas de barrière. Bon. Il va quand même falloir aller plus vite si on veut arriver à temps à la frontière, c'est à dire avant ce soir... On fait du stop et un pick-up nous embarque, nous et nos vélos. Sur la route, nous montrons nos passeports à des postes de contrôle intermédiaires... qui ne nous font aucune remarque particulière. Mais une fois arrivés au poste-frontière, le militaire chinois qui contrôle nos passeports tombe des nues : "STAMP!!!" s'exclame-t-il en gestes expressifs. QUOI? Un poste de contrôle à 160km d'ici? Mais nous n'avons rien vu, on ne nous a rien dit!!! Les deux Chinois qui nous ont pris en auto-stop se font copieusement engueuler par les militaires : ils ont commis un "crime" et ils ont l'interdiction de nous faire faire l'aller-retour pour aller tamponner nos passeports. Il faut que nous prenions un taxi habilité par le gouvernement. Bam, 100$ l'aller-retour. Nous sommes furieux.
Mais il faut se dépêcher de partir tant
qu'il est encore possible de faire l'aller-retour avant la fermeture du poste,
à 19h. Le militaire confie nos passeports au chauffeur du taxi, nous n'avons
pas le droit de les récupérer. À Ulluggqat le taxi nous amène devant le poste
de contrôle, qui est en fait situé à 1km d'écart par rapport à la route (tellement
absurde). Le chauffeur nous explique qu'il nous laisse ici, qu'on se retrouve
dans 1h. On trouve ça bizarre mais on obéit... avant de le regretter, 1h30 plus
tard, quand le taxi n'est toujours pas revenu! On réalise peu à peu que nos
vélos sont restés à la frontière, nos sacs sont à l'arrière du pick-up, nos
passeports dans la poche du taximan, et il ne nous reste plus que 3h pour
passer la frontière à temps, à 160km d'ici. En gros, on est mal!
Marion est déjà en larmes quand le taxi
apparaît enfin. À bord le chauffeur est tout souriant et Marion pourrait le
frapper, mais on a encore besoin de lui. On rejoint la frontière en roulant comme
des fous. Les gardes-frontières ont déjà fermé les barrières, mais ils les
rouvrent pour nous. Ouf! Il ne reste plus qu'à traverser ces deux kilomètres de
"no mans land" entre les deux pays. De l'autre côté, nous sommes
accueillis à bras ouverts par un type vêtu d'une casquette et d'un gros manteau
kaki, le col couvert de fourrure, avec des badges partout : LE militaire russe
tel qu'on se l'imagine. Il nous offre de l'eau potable, et crie d'une voix
forte : "BYE BYE CHINA, WELCOME IN KYRGYZSTAN!"
3 commentaires:
Génial !!! Merci de nous faire partager tout ça, c'est TOP!
Bonne continuation
P.s: Super les vidéos ;-)
Chers grands voyageurs, j'adore votre compte-rendu si vivant et rempli de surprises, c'est un bonheur de vous lire...
Continuez à nous entrainer sur les routes.
Je vous embrasse, Nicole
magnifique voyage que vous faites, je me remémore mes voyages en Chine et en Ouzbekistan.tout cela est comme dans mes souvenirs merci encore
pour ce magnifique reportage. Je suis la tante de nicole Marlière et je vous suis depuis le début de votre périple, courage et a
bientôt sur les chemins
Enregistrer un commentaire