Carte du parcours

vendredi 4 mars 2016

Turquie partie 1 et Chypre



Du 17 janvier 2015 au 5 février 2016

Bonjour à tous! Voici, enfin, un nouvel article!
Nous voici donc entrés en Turquie, et sortis de Géorgie. Le long de la mer Noire.
Côté turc, nous continuons à longer la côte pendant 3 jours. Rien de très intéressant à raconter... le seul itinéraire possible nous fait rouler sur une grosse autoroute, tantôt plantée les pieds dans l'eau, tantôt creusée dans la falaise. Sur notre droite, quelques gros pétroliers. Sur notre gauche, le flanc nord de collines très abruptes, sur lesquelles s'agrippent des rangées de plantations de thé aux feuilles sombres. Les villes, quant à elles, ne sont pas très jolies... ce sont de grands immeubles en béton, imposants et monotones, placés de manière anarchique, et dont les toits sont colonisés de chauffes-eau solaires. L'autoroute, imperturbable, coupe chaque centre-ville de l'accès à la mer. Bref, c'est assez triste.

Un petit port le long de la mer Noire
C'est jamais bon signe de voir la tête du président partout!
On a quand même eu de beaux points de vue sur la côte.

Nous n'allons pas nous éterniser ici. D'autant plus que des jours de pluie sont annoncés. Lorsqu'après trois jours de route nous atteignons Trabzon, on en a râle-bol du trafic. Le monastère qu'on voulait visiter dans les environs est malheureusement fermé, et la pluie est arrivée. Il n'y a plus qu'à monter dans un bus pour filer loin d'ici aller chercher le soleil!


En une nuit de trajet, nous traversons toute la Turquie du nord au sud. Bien sûr, on veille à ne pas trop se rapprocher de la frontière syrienne ou des provinces kurdes... on a donc choisi la ville de Mersin, sur la côte Méditerranéenne, comme prochaine destination. L'idée, c'est de continuer notre route vers l'ouest, tout en évitant les hautes altitudes, la pluie et la neige. Plus question de grelotter!

Dès notre arrivée, au petit matin, Mersin est déjà très animée. Les boutiques s'enchaînent, tandis que de petits salons de thé, plus ou moins improvisés, se sont installés sur les trottoirs. Assis sur des chaises, probablement depuis quelques heures déjà, des hommes sont absorbés dans leurs parties de backgammon (un jeu de société appelé ici Tavla). Tandis que nous discutons avec le boulanger (qui tient absolument à nous offrir son pain), sur le trottoir d'en face, on nous appelle déjà pour venir partager quelques verres de çay (thé).

En bas de la ville, nous retrouvons la Méditerranée : la première mer que nous connaissions déjà! Nous commençons à longer la berge, et sortons de la ville. Nous qui, plein d'espoir, nous étions déjà mis en t-shirts,  sommes vite contraints de renfiler pulls et vestes... car il fait beaucoup plus froid qu'on ne l'imaginait!
Arrivés à la Méditerranée

Les paysages, quant à eux, sont fort différents de ceux de la Mer Noire, et curieusement familiers. De la terre ocre, des oliviers, des récifs qui plonge dans une eau turquoise, des cactus et des buissons piquants... eh oui, ça ne trompe pas, nous sommes bien en pays méditerranéen!
Sur le bord de la route, quelques ruines : un amphithéâtre, une forteresse, une agora... nous voilà également rentrés sur les terres de l'ancien Empire romain.

Au milieu des gradins du théâtre coulait un petit canal qui irriguait la ville.
petit Étienne à droite de la photo




En deux jours nous atteignons Tasuçu, où nous embarquons sur un ferry de nuit, direction Chypre. Oui, d'accord... Chypre ce n’est pas vraiment sur la route du retour... mais on en est tellement proches que ce serait dommage de rater ça : seulement 100 km de distance entre Chypre et la côte turque. Par beau temps, les rivages sont clairement visibles de part et d'autre. 100 km seulement, mais neuf heures de traversée pour le gros ferry... on va plus vite à vélo!

Mais pourquoi n'est-elle pas droite cette banquette?

Nous voilà sur l'île de Chypre. Mais pas réellement "à" Chypre. Car, comme vous vous en doutez, nous avons débarqué sur la partie nord de l'île, occupée par la Turquie depuis 1974. Nous nous trouvons donc sur le territoire de la République turque de Chypre Nord, un État autoproclamé, et reconnu par la seule Turquie. Ici, on parle turc, tout se paye en lira turque, et le drapeau turc se dresse fièrement sur tous les points hauts de la ville. La population est d'ailleurs en bonne partie turque d'origine (et non chypriote-turque), puisque depuis 1974, la Turquie favorise l'implantation de colons venus d'Anatolie.

Drapeau turc à droite, drapeau nord-chypriote à gauche. 
Ils auraient pu être un peu plus originaux quand même.
On roule à gauche! La dernière fois c'était en Thaïlande
15 min après notre arrivée je l'ai trouvée!

La ville de Girne est très charmante, avec sa belle forteresse et son petit port ensoleillé.

C'est un petit pas pour Étienne, et une grosse gamelle si il loupe le créneau

Notre tour sur Chypre, ça commence par des petites routes tranquilles et des pistes sablonneuses sur la pointe située au nord-ouest.

Côté turc, c'est parfois un peu déprimant...
Il manque plus que le bisounours qui glisse sur l'arc-en-ciel!
Ça frotte un peu sous le garde-boue...

Entre la partie turque et la partie grecque de l'île se trouve depuis 1974 la "ligne verte", qui est une zone démilitarisée et contrôlée par les Casques bleus de l'ONU : du coup, entre les deux checkpoints, nous apercevons quelques Casques bleus et leurs bases. Et arrivés côté grec, petit moment d'émotion à la vue du drapeau de l'Union européenne!


Un poste de l'ONU



La douanière s'appelle Athanasiou . Athanasiou a fait ses études à Lyon et parle encore un excellent français.  Nous passons au moins 3 heures en sa compagnie, dans la cabane de la douane, à discuter en buvant des tasses de thé. Athanasiou nous apprend plein de choses sur Chypre, sur l'histoire de l'île, sur la crise financière de 2013, et elle nous raconte aussi son histoire à elle : Athanasiou a grandi à Girne, la ville où nous nous sommes débarqués, côté turc. En 1974, comme beaucoup de Chypriotes de part et d'autre de la "ligne verte", elle a dû tout quitter pour commencer une nouvelle vie "de l'autre côté". Aujourd'hui elle vit à Limassol. Mais si, un jour ou l'autre, Chypre venait à se réunifier (ce qui est fort possible), Athanasiou retournera vivre à Girne. Car Girne (en turc), même peuplée de Turcs, reste Kyrenia (en grec), sa ville.



Premier village européen :)

Sitôt arrivés en partie grecque, nous ne tardons pas à devoir grimper dans les montagnes pour contourner une enclave militaire turque (ravitaillée uniquement par bateau...!).

Très évocateur...
Ok la vue est jolie mais on serait bien resté le long de la côte, 
si il n'y avait pas eu cette base militaire turque!
Les Turcs ne sont pas les seuls à occuper le territoire chypriote : les Britanniques ont eux aussi gardé des bases militaires, après la décolonisation. Nous traversons leur zone d'occupation : tous les quartiers d'habitation sont surclôturés, il y a des messages "attention danger" un peu partout, des caméras... Drôle d'ambiance. Selon Athanasiou,  les militaires anglais sont particulièrement sous tension à Chypre, car c'est de cette base-ci que partent les avions de guerre pour la Syrie.


Tellement cliché! Remarquez les barrières tout autour...

Un dernier mot à propos de la division du territoire chypriote : À l'heure actuelle 36,3 % du territoire est occupé par les Turcs 2,7 % est occupé par les bases militaires britanniques, 3,7 % est réservé à l'ONU comme zone tampon entre le nord et le sud, et 57,3 % restent aux Chypriotes grecs.
Pour ceux qui veulent voir ce que ça donne sous forme de carte : http://ddc.arte.tv/nos-cartes/chypre-a-la-presidence-de-l-union

Bref, tout ça ne nous rendra pas Chypre Nord (private joke pour les Belges), et pendant ce temps, nous, on pédale sur la presqu'île de Akamas, une belle réserve naturelle.


On campe souvent dans des vergers d'agrumes qui sentent bon
Belle piste, belle pente!


Sur la côte sud, assez fort urbanisée, s'enchaînent les sites archéologiques. Ce qu'on a préféré, ce sont les "tombes des rois" et les mosaïques à Paphos, notre fraîche baignade à Petra tou Romiou (la plage où serait née Aphrodite), et le site de Kourion près de Limassol.

 

Les tombes des rois, près de Paphos
Là, on se les gèle...
ça va mieux en pull!
Tour de stade!
 
Une mosaïque à Kourion
Des anciens bains publics, on les reconnaît par leurs hypocaustes
Gladiateurs

Limassol est une ville sympa, avec un joli centre, une marina super-contemporaine et un parc très vivant le long de la plage. C'est aussi à Limassol que nous retrouvons Athanasiou, la douanière du checkpoint, qui nous invite chez elle pour le souper et pour une bonne douche chaude!


Depuis Limassol nous voulons rejoindre Nicosie, la capitale, en passant par le massif montagneux du centre de l'île. Trois jours de grimpette dans des montagnes rondes et boisées, où nous trouvons de jolis villages en pierre.


Des mouflons anonymous!

Les cultures en terrasses sont impressionnantes dans cette région
Le village de Lofou
 
 
Le monastère d'Omodhos

Regardez les jambes, on est fan!
Kykkos, un monastère qui nous a fait suer

Il y a des matins où on fait de la confiture "maison" : des oranges au sucre
 



De l'autre côté du massif, descente sur Nicosie. À quelques kilomètres du centre, zut, notre route devient une autoroute... on décide de bifurquer sur cette petite route de campagne, à gauche. D'après la carte, elle rejoint le centre-ville. Mais on ne tarde pas à se rendre compte que nous venons d'entrer dans la zone de l'ONU. À notre droite, derrière les barbelés, on reconnaît l'ancien aéroport international de Nicosie, aujourd'hui à l'abandon. Sur notre gauche, une carcasse d'avion. Au poste militaire des Casques bleus, quelques kilomètres plus loin, un soldat bulgare nous dit que la route est barrée et que nous devons trouver un autre chemin pour entrer dans la ville. On s'en doutait bien! On décide de contourner l'aéroport en prenant des pistes. Mais il est déjà grand'temps de planter la tente, et après quelques coups de pédale un petit verger d'olivier se présente gentiment à nous... voilà pourquoi et comment nous avons passé une nuit sur le territoire de l'ONU. Ils ont été sympas les casques bleus, ils ne nous ont rien dit, alors qu'ils nous voyaient bien du haut de leur mirador!


Au final, on aura campé sur tous les territoires de Chypre : en partie turque, en partie grecque, en zone militaire anglaise, et en zone militaire de l'ONU. Sans se faire virer une seule fois!


L'ancien terminal de l'aéroport
De quoi bien énerver les Chypriotes grecs. En plus, la nuit, ça s'illumine!

Nicosie est la capitale de Chypre. Elle est située sur la ligne de séparation entre la partie turque et la partie grecque, elle est donc coupée en deux. Dès que nous arrivons dans le centre-ville, nous tombons nez à nez avec cette ligne de séparation. Et ça fait un drôle d'effet... des images de Berlin nous reviennent en tête. Ici il n'y a pas vraiment de mur, mais, le long de la ligne, les maisons sont murées, les rues sont barricadées avec des sacs de sable, il y a des barbelés et des postes de tir. Bien sûr, tout est très calme, les Casques bleus surveillent la zone tampon, il n'y a aucun danger. Mais ça reste assez impressionnant!

À part ça Nicosie est une ville normale, avec ses églises et ses ruelles, ses immeubles modernes et ses commerces (il y a des magasins de marques européennes que nous avions presque oubliées). Comme la ligne verte a transformé plein de rues en impasses, celles-ci sont devenues piétonnes.

 

 


En fin de journée nous passons rejoignons la partie turque, c'est très simple : côté grec la rue piétonne principale aboutit sur le checkpoint. Pendant une cinquantaine de mètres, on traverse la zone tampon, occupée par des maisons vides ou murées. Puis nous passons le checkpoint turc. L'ambiance est très détendue et les douaniers font des blagues.

Avant d'atteindre la côte nord, nous voulons encore visiter deux sites : le château de St Hilarion et l'abbaye de Bellapais. Il nous a fallu de la persévérance pour y arriver!

Le château de St Hilarion est situé sur le haut d'une montagne. Après avoir grimpé de nombreux lacets, nous arrivons à un poste militaire turc, où les soldats nous interdisent de passer : "Yes for cars, yes for motobikes, but no bicycles." Vous vous imaginez bien, on est révoltés! On ne se laisse pas  faire et on leur fait bien comprendre qu'on trouve ça complètement crétin. Réponse : "We are soldiers, we have rules!". Impossible de les faire changer d'avis. Ensuite, on leur propose un tas de solutions idiotes : nous escorter, nous trouver un chauffeur... On finit par leur demander de garder nos vélos pendant que nous allons tenter de faire du stop. Réponse : impossible, car garder nos vélos, c'est dangereux! À ce moment-là, on commence à ouvrir nos sacoches et à leur présenter nos tomates, nos paquets de pâtes, nos T-shirts, "You see, no bomb!"... ils perdent patience et finissent par céder. "Ok bicycles, but no stop! 3 kilometers no stop!" YES!

On ne regrette pas d'avoir insisté, ce château est une merveille.
Juste une falaise?

Non, un immense château!

 

Maintenant, direction  l'abbaye de Bellapais. Une petite route nous permettrait de la rejoindre en suivant le flanc de la montagne, en évitant de descendre pour remonter. Eh ben figurez-vous qu'une fois de plus les militaires nous empêchent de passer, ils ont barré la route. On fait donc le tour... et pendant que nous poussons sur nos pédales pour remonter la montagne que nous venons de descendre, on maudit ces occupants turcs qui, de surcroit, se permettent de faire enrager les cyclistes!
Première église gothique du voyage

Retour à Girne, notre point de départ, la boucle est bouclée. Nous rencontrons, par hasard Gabrielle, une Belge qui vit temporairement ici après un voyage à vélo. Elle nous propose de passer la soirée avec elle dans un bar à vin: une chouette soirée avec elle, son copain Abraham,  Osgahn, chypriote turque, sa petite fille Leila et Lee, son mari anglais. Osgahn nous donne son point de vue sur la réunification de Chypre. Elle nous dit notamment ne pas vivre l'occupation turque comme quelque chose de négatif, car selon elle, la Turquie apporte beaucoup à Chypre Nord. Elle nous explique aussi avoir très mal vécu le fait que les Grecs aient refusé la réunification au référendum de 2004 . Maintenant, elle n'est plus certaine de souhaiter la réunification...

La petite vidéo sur nos 15 jours à Chypre :


Nous passons la nuit sur le ferry qui nous ramène lentement sur la côte turque...



1 commentaire:

Djédjé-qui-n'est-pas-un-robot a dit…


Un gros faible pour le village de Lofou et les cultures en terrasses alentours. Ce travail de fourmi respire l'abnégation, la ténacité et l'authenticité. Communion totale de l'Homme avec son environnement. Les pierres naturelles sont transfigurées par ce travail titanesque et pourtant si modeste dans sa simplicité.
J'ai toujours été révolté pour la politique annexionniste turque à Chypre. De A à Z. Et tout ce que vous montrez, notamment la provocation nationaliste illuminée au dessus de Nicosie, le mur, les barrages, etc... affermit mes convictions.
Et la belge dont l'amie est chypriote turque est probablement sous amicale influence !
Ceci étant, parce que jamais rien n'est tout blanc ou tout noir, il faut reconnaître qu'un coup d’œil à la carte fait réfléchir : pourquoi donc cette île qui est presque au contact de la Turquie et si loin des côtes grecques est elle grecque ?
Le risque de voir des politiques en mal de légitimité se saisir de cette étrangeté pour en faire un cheval de bataille était inévitable.
Lorsque les réalités physiques et humaines divergent à ce point, la géographie peut devenir vecteur de troubles !
Bravo pour votre ténacité face à la bêtise et à l'adversité pour Saint Hilarion !
Bonne route.