Du
17 janvier 2015 au 5 février 2016
Bonjour
à tous! Voici, enfin, un nouvel article!
Nous
voici donc entrés en Turquie, et sortis de Géorgie. Le long de la mer Noire.
Côté
turc, nous continuons à longer la côte pendant 3 jours. Rien de très
intéressant à raconter... le seul itinéraire possible nous fait rouler sur une
grosse autoroute, tantôt plantée les pieds dans l'eau, tantôt creusée dans la
falaise. Sur notre droite, quelques gros pétroliers. Sur notre gauche, le flanc
nord de collines très abruptes, sur lesquelles s'agrippent des rangées de
plantations de thé aux feuilles sombres. Les villes, quant à elles, ne sont pas
très jolies... ce sont de grands immeubles en béton, imposants et monotones,
placés de manière anarchique, et dont les toits sont colonisés de chauffes-eau
solaires. L'autoroute, imperturbable, coupe chaque centre-ville de l'accès à la
mer. Bref, c'est assez triste.
Un petit port le long de la mer Noire |
C'est jamais bon signe de voir la tête du président partout! |
On a quand même eu de beaux points de vue sur la côte. |
Nous
n'allons pas nous éterniser ici. D'autant plus que des jours de pluie sont
annoncés. Lorsqu'après trois jours de route nous atteignons Trabzon, on en a
râle-bol du trafic. Le monastère qu'on voulait visiter dans les environs est malheureusement
fermé, et la pluie est arrivée. Il n'y a plus qu'à monter dans un bus pour
filer loin d'ici aller chercher le soleil!
En
une nuit de trajet, nous traversons toute la Turquie du nord au sud. Bien sûr,
on veille à ne pas trop se rapprocher de la frontière syrienne ou des provinces
kurdes... on a donc choisi la ville de Mersin, sur la côte Méditerranéenne,
comme prochaine destination. L'idée, c'est de continuer notre route vers
l'ouest, tout en évitant les hautes altitudes, la pluie et la neige. Plus
question de grelotter!
Dès
notre arrivée, au petit matin, Mersin est déjà très animée. Les boutiques
s'enchaînent, tandis que de petits salons de thé, plus ou moins improvisés, se
sont installés sur les trottoirs. Assis sur des chaises, probablement depuis
quelques heures déjà, des hommes sont absorbés dans leurs parties de backgammon
(un jeu de société appelé ici Tavla). Tandis que nous discutons avec le
boulanger (qui tient absolument à nous offrir son pain), sur le trottoir d'en
face, on nous appelle déjà pour venir partager quelques verres de çay (thé).
En
bas de la ville, nous retrouvons la Méditerranée : la première mer que nous
connaissions déjà! Nous commençons à longer la berge, et sortons de la ville.
Nous qui, plein d'espoir, nous étions déjà mis en t-shirts, sommes vite contraints de renfiler pulls et
vestes... car il fait beaucoup plus froid qu'on ne l'imaginait!
Arrivés à la Méditerranée |
Les
paysages, quant à eux, sont fort différents de ceux de la Mer Noire, et
curieusement familiers. De la terre ocre, des oliviers, des récifs qui plonge
dans une eau turquoise, des cactus et des buissons piquants... eh oui, ça ne
trompe pas, nous sommes bien en pays méditerranéen!
Sur
le bord de la route, quelques ruines : un amphithéâtre, une forteresse, une
agora... nous voilà également rentrés sur les terres de l'ancien Empire romain.
Au milieu des gradins du théâtre coulait un petit canal qui irriguait la ville. |
petit Étienne à droite de la photo |
En deux jours nous atteignons Tasuçu, où nous embarquons sur un ferry de nuit, direction Chypre. Oui, d'accord... Chypre ce n’est pas vraiment sur la route du retour... mais on en est tellement proches que ce serait dommage de rater ça : seulement 100 km de distance entre Chypre et la côte turque. Par beau temps, les rivages sont clairement visibles de part et d'autre. 100 km seulement, mais neuf heures de traversée pour le gros ferry... on va plus vite à vélo!
Mais pourquoi n'est-elle pas droite cette banquette? |
Nous
voilà sur l'île de Chypre. Mais pas réellement "à" Chypre. Car, comme
vous vous en doutez, nous avons débarqué sur la partie nord de l'île, occupée
par la Turquie depuis 1974. Nous nous trouvons donc sur le territoire de la République
turque de Chypre Nord, un État autoproclamé, et reconnu par la seule Turquie.
Ici, on parle turc, tout se paye en lira turque, et le drapeau turc se
dresse fièrement sur tous les points hauts de la ville. La population est
d'ailleurs en bonne partie turque d'origine (et non chypriote-turque), puisque
depuis 1974, la Turquie favorise l'implantation de colons venus d'Anatolie.
Drapeau turc à droite, drapeau nord-chypriote à gauche. Ils auraient pu être un peu plus originaux quand même. |
On roule à gauche! La dernière fois c'était en Thaïlande |
15 min après notre arrivée je l'ai trouvée! |
La ville de Girne est très charmante, avec sa belle forteresse et son petit port ensoleillé.
C'est un petit pas pour Étienne, et une grosse gamelle si il loupe le créneau |
Notre
tour sur Chypre, ça commence par des petites routes tranquilles et des pistes
sablonneuses sur la pointe située au nord-ouest.
Côté turc, c'est parfois un peu déprimant... |
Il manque plus que le bisounours qui glisse sur l'arc-en-ciel! |
Ça frotte un peu sous le garde-boue... |
Entre
la partie turque et la partie grecque de l'île se trouve depuis 1974 la "ligne
verte", qui est une zone démilitarisée et contrôlée par les Casques bleus
de l'ONU : du coup, entre les deux checkpoints, nous apercevons quelques
Casques bleus et leurs bases. Et arrivés côté grec, petit moment d'émotion à la
vue du drapeau de l'Union européenne!
Un poste de l'ONU |
La douanière s'appelle Athanasiou . Athanasiou a fait ses études à Lyon et parle encore un excellent français. Nous passons au moins 3 heures en sa compagnie, dans la cabane de la douane, à discuter en buvant des tasses de thé. Athanasiou nous apprend plein de choses sur Chypre, sur l'histoire de l'île, sur la crise financière de 2013, et elle nous raconte aussi son histoire à elle : Athanasiou a grandi à Girne, la ville où nous nous sommes débarqués, côté turc. En 1974, comme beaucoup de Chypriotes de part et d'autre de la "ligne verte", elle a dû tout quitter pour commencer une nouvelle vie "de l'autre côté". Aujourd'hui elle vit à Limassol. Mais si, un jour ou l'autre, Chypre venait à se réunifier (ce qui est fort possible), Athanasiou retournera vivre à Girne. Car Girne (en turc), même peuplée de Turcs, reste Kyrenia (en grec), sa ville.
Sitôt
arrivés en partie grecque, nous ne tardons pas à devoir grimper dans les montagnes
pour contourner une enclave militaire turque (ravitaillée uniquement par bateau...!).
Très évocateur... |
Ok la vue est jolie mais on serait bien resté le long de la côte, si il n'y avait pas eu cette base militaire turque! |
Les
Turcs ne sont pas les seuls à occuper le territoire chypriote : les Britanniques
ont eux aussi gardé des bases militaires, après la décolonisation. Nous
traversons leur zone d'occupation : tous les quartiers d'habitation sont surclôturés,
il y a des messages "attention danger" un peu partout, des caméras...
Drôle d'ambiance. Selon Athanasiou, les
militaires anglais sont particulièrement sous tension à Chypre, car c'est de
cette base-ci que partent les avions de guerre pour la Syrie.
Un
dernier mot à propos de la division du territoire chypriote : À l'heure
actuelle 36,3 % du territoire est occupé par les Turcs 2,7 % est occupé par les
bases militaires britanniques, 3,7 % est réservé à l'ONU comme zone tampon
entre le nord et le sud, et 57,3 % restent aux Chypriotes grecs.
Pour
ceux qui veulent voir ce que ça donne sous forme de carte : http://ddc.arte.tv/nos-cartes/chypre-a-la-presidence-de-l-union
Bref,
tout ça ne nous rendra pas Chypre Nord (private joke pour les Belges), et
pendant ce temps, nous, on pédale sur la presqu'île de Akamas, une belle
réserve naturelle.
On campe souvent dans des vergers d'agrumes qui sentent bon |
Belle piste, belle pente! |
Sur
la côte sud, assez fort urbanisée, s'enchaînent les sites archéologiques. Ce
qu'on a préféré, ce sont les "tombes des rois" et les mosaïques à Paphos,
notre fraîche baignade à Petra tou Romiou (la plage où serait née
Aphrodite), et le site de Kourion près de Limassol.
Les tombes des rois, près de Paphos |
Là, on se les gèle... |
ça va mieux en pull! |
Tour de stade! |
Une mosaïque à Kourion |
Des anciens bains publics, on les reconnaît par leurs hypocaustes |
Gladiateurs |
Limassol
est une ville sympa, avec un joli centre, une marina super-contemporaine et un
parc très vivant le long de la plage. C'est aussi à Limassol que nous
retrouvons Athanasiou, la douanière du checkpoint, qui nous invite chez elle pour
le souper et pour une bonne douche chaude!
Depuis
Limassol nous voulons rejoindre Nicosie, la capitale, en passant par le massif
montagneux du centre de l'île. Trois jours de grimpette dans des montagnes
rondes et boisées, où nous trouvons de jolis villages en pierre.
Des mouflons anonymous! |
Les cultures en terrasses sont impressionnantes dans cette région |
Le village de Lofou |
Le monastère d'Omodhos |
Regardez les jambes, on est fan! |
Kykkos, un monastère qui nous a fait suer |
Il y a des matins où on fait de la confiture "maison" : des oranges au sucre |
De l'autre côté du massif, descente sur Nicosie. À quelques kilomètres du centre, zut, notre route devient une autoroute... on décide de bifurquer sur cette petite route de campagne, à gauche. D'après la carte, elle rejoint le centre-ville. Mais on ne tarde pas à se rendre compte que nous venons d'entrer dans la zone de l'ONU. À notre droite, derrière les barbelés, on reconnaît l'ancien aéroport international de Nicosie, aujourd'hui à l'abandon. Sur notre gauche, une carcasse d'avion. Au poste militaire des Casques bleus, quelques kilomètres plus loin, un soldat bulgare nous dit que la route est barrée et que nous devons trouver un autre chemin pour entrer dans la ville. On s'en doutait bien! On décide de contourner l'aéroport en prenant des pistes. Mais il est déjà grand'temps de planter la tente, et après quelques coups de pédale un petit verger d'olivier se présente gentiment à nous... voilà pourquoi et comment nous avons passé une nuit sur le territoire de l'ONU. Ils ont été sympas les casques bleus, ils ne nous ont rien dit, alors qu'ils nous voyaient bien du haut de leur mirador!
Au
final, on aura campé sur tous les territoires de Chypre : en partie turque, en
partie grecque, en zone militaire anglaise, et en zone militaire de l'ONU. Sans
se faire virer une seule fois!
L'ancien terminal de l'aéroport |
De quoi bien énerver les Chypriotes grecs. En plus, la nuit, ça s'illumine! |
Nicosie
est la capitale de Chypre. Elle est située sur la ligne de séparation entre la
partie turque et la partie grecque, elle est donc coupée en deux. Dès que nous
arrivons dans le centre-ville, nous tombons nez à nez avec cette ligne de
séparation. Et ça fait un drôle d'effet... des images de Berlin nous reviennent
en tête. Ici il n'y a pas vraiment de mur, mais, le long de la ligne, les
maisons sont murées, les rues sont barricadées avec des sacs de sable, il y a
des barbelés et des postes de tir. Bien sûr, tout est très calme, les Casques
bleus surveillent la zone tampon, il n'y a aucun danger. Mais ça reste assez
impressionnant!
À
part ça Nicosie est une ville normale, avec ses églises et ses ruelles, ses
immeubles modernes et ses commerces (il y a des magasins de marques européennes
que nous avions presque oubliées). Comme la ligne verte a transformé plein de
rues en impasses, celles-ci sont devenues piétonnes.
En
fin de journée nous passons rejoignons la partie turque, c'est très simple :
côté grec la rue piétonne principale aboutit sur le checkpoint. Pendant une
cinquantaine de mètres, on traverse la zone tampon, occupée par des maisons
vides ou murées. Puis nous passons le checkpoint turc. L'ambiance est très
détendue et les douaniers font des blagues.
Avant
d'atteindre la côte nord, nous voulons encore visiter deux sites : le château
de St Hilarion et l'abbaye de Bellapais. Il nous a fallu de la persévérance
pour y arriver!
Le
château de St Hilarion est situé sur le haut d'une montagne. Après avoir grimpé
de nombreux lacets, nous arrivons à un poste militaire turc, où les soldats
nous interdisent de passer : "Yes for cars, yes for motobikes, but no
bicycles." Vous vous imaginez bien, on est révoltés! On ne se laisse
pas faire et on leur fait bien
comprendre qu'on trouve ça complètement crétin. Réponse : "We are
soldiers, we have rules!". Impossible de les faire changer d'avis. Ensuite,
on leur propose un tas de solutions idiotes : nous escorter, nous trouver un
chauffeur... On finit par leur demander de garder nos vélos pendant que nous
allons tenter de faire du stop. Réponse : impossible, car garder nos vélos,
c'est dangereux! À ce moment-là, on commence à ouvrir nos sacoches et à leur
présenter nos tomates, nos paquets de pâtes, nos T-shirts, "You see, no
bomb!"... ils perdent patience et finissent par céder. "Ok bicycles,
but no stop! 3 kilometers no stop!" YES!
On
ne regrette pas d'avoir insisté, ce château est une merveille.
Juste une falaise? |
Maintenant, direction l'abbaye de Bellapais. Une petite route nous permettrait de la rejoindre en suivant le flanc de la montagne, en évitant de descendre pour remonter. Eh ben figurez-vous qu'une fois de plus les militaires nous empêchent de passer, ils ont barré la route. On fait donc le tour... et pendant que nous poussons sur nos pédales pour remonter la montagne que nous venons de descendre, on maudit ces occupants turcs qui, de surcroit, se permettent de faire enrager les cyclistes!
Retour
à Girne, notre point de départ, la boucle est bouclée. Nous rencontrons,
par hasard Gabrielle, une Belge qui vit temporairement ici après un voyage à
vélo. Elle nous propose de passer la soirée avec elle dans un bar à vin: une
chouette soirée avec elle, son copain Abraham,
Osgahn, chypriote turque, sa petite fille Leila et Lee, son mari anglais.
Osgahn nous donne son point de vue sur la réunification de Chypre. Elle nous
dit notamment ne pas vivre l'occupation turque comme quelque chose de négatif,
car selon elle, la Turquie apporte beaucoup à Chypre Nord. Elle nous explique
aussi avoir très mal vécu le fait que les Grecs aient refusé la réunification
au référendum de 2004 . Maintenant, elle n'est plus certaine de souhaiter la
réunification...
La petite vidéo sur nos 15 jours à Chypre :
La petite vidéo sur nos 15 jours à Chypre :
Nous passons la nuit sur le ferry qui nous ramène lentement sur la côte turque...
1 commentaire:
Un gros faible pour le village de Lofou et les cultures en terrasses alentours. Ce travail de fourmi respire l'abnégation, la ténacité et l'authenticité. Communion totale de l'Homme avec son environnement. Les pierres naturelles sont transfigurées par ce travail titanesque et pourtant si modeste dans sa simplicité.
J'ai toujours été révolté pour la politique annexionniste turque à Chypre. De A à Z. Et tout ce que vous montrez, notamment la provocation nationaliste illuminée au dessus de Nicosie, le mur, les barrages, etc... affermit mes convictions.
Et la belge dont l'amie est chypriote turque est probablement sous amicale influence !
Ceci étant, parce que jamais rien n'est tout blanc ou tout noir, il faut reconnaître qu'un coup d’œil à la carte fait réfléchir : pourquoi donc cette île qui est presque au contact de la Turquie et si loin des côtes grecques est elle grecque ?
Le risque de voir des politiques en mal de légitimité se saisir de cette étrangeté pour en faire un cheval de bataille était inévitable.
Lorsque les réalités physiques et humaines divergent à ce point, la géographie peut devenir vecteur de troubles !
Bravo pour votre ténacité face à la bêtise et à l'adversité pour Saint Hilarion !
Bonne route.
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